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Sciences

Une soirée avec les petites nyctales

25-01-2022

Une petite nyctale attrapée par l’équipe de l’OOM. Le nom scientifique de l’espèce est Aegolius acadicus. Photo: Donald Robitaille

Pour voir de petites nyctales dans la nature, il faut de bons yeux : elles sont très discrètes. Nous nous sommes donc invités à l’Observatoire d’oiseaux de McGill pour une soirée en leur compagnie.

Un « onnnn ! » d’attendrissement. Voilà le son le plus entendu lors de notre passage dans la cabane de l’Arboretum Morgan, dans l’ouest de l’île de Montréal. Chaque automne, dès la nuit tombée, on y opère le baguage des petites nyctales, de minuscules chouettes. Ce soir-là, deux personnes ayant fait un don à l’Observatoire d’oiseaux de McGill (OOM) y passaient la soirée pour contempler ces volatiles si mignons. Nul ne peut résister à leur bouille − y compris l’équipe de Québec Science. « Ça fait le même effet tout le temps », assure Ariane Chénard, qui pose les bagues d’aluminium à la patte des oiseaux.

Le but de la manœuvre, bien sûr, est de suivre la courte migration des petites nyctales, et cela, depuis 2004. En été, elles sont présentes dans tout le sud du Canada et la majorité se rend dans le nord des États-Unis à l’approche de l’hiver. D’où le choix des dates du programme de baguage : de la fin septembre à début novembre, période au cours de laquelle plusieurs nyctales passent par la métropole. « Même si l’espèce est très répandue, elle reste méconnue, donc on recueille plein d’informations », remarque la bagueuse.

Pour cela, il faut capturer les oiseaux. À partir du coucher du soleil et jusque tard dans la nuit, toutes les 45 minutes, Ariane Chénard sort de la cabane et marche dans un sentier à travers un champ pour atteindre un bosquet de conifères. Un son irrégulier en émerge, un bruit qui s’apparente au roulement grinçant d’un chariot. Il s’agit d’un enregistrement du cri de petites nyctales diffusé par des haut-parleurs camouflés dans le but d’attirer ces dernières.

Sept filets cernent le bosquet. « Les oiseaux ne les voient pas. En fait, on pourrait même attraper des humains tellement ils sont invisibles ! » blague Ariane Chénard. Les chouettes foncent dans le filet, puis tombent dans une sorte de poche où elles s’empêtrent.

Puisque toutes les plumes se ressemblent sous la lampe UV, l’équipe détermine qu’il s’agit d’un juvénile n’ayant pas mué encore. Photo: Donald Robitaille

La lumière projetée par les lampes frontales dévoile une petite masse dans la poche. La bagueuse libère délicatement l’oiseau du filet et le dépose dans un sac de tissu pour le transport. Plongé dans le noir, il sera moins stressé. Pourtant, une fois de retour dans la cabane, les petits clics produits par son bec laissent deviner qu’il est un brin affolé, même s’il ne bouge pas beaucoup. On ne s’éternise donc pas pendant les manipulations afin de relâcher la bête rapidement.

Ariane Chénard commence par poser la bague sur une patte à l’aide de pinces. Puis, elle mesure une aile et regarde attentivement les plumes. « C’est un nouveau venu, né cet été. S’il était plus vieux, il aurait déjà subi une mue et l’on verrait des contrastes de couleurs. Chez les petites nyctales, les plumes ne changent pas toutes en même temps ; ainsi, selon le motif, on peut déterminer à peu près l’âge d’un individu. » Une lampe UV aide aussi à estimer l’âge, car le blanc des plumes récentes apparaît rose sous cet éclairage. La bénévole qui assiste la bagueuse ce soir-là, Catriona Daley, note le tout dans un registre.

Si l’on soulève les côtés du masque d’une petite nyctale, on découvre les oreilles, de grandes cavités pas du tout symétriques. On y voit les globes oculaires! Photo: Donald Robitaille

Le duo évalue également la réserve de graisse sur la poitrine, qui est minime chez la petite nyctale comparativement aux oiseaux qui font de longues migrations. Ariane Chénard insère ensuite l’oiseau dans un verre étroit, la tête en bas ; seules les deux pattes en ressortent, parfaitement immobiles. La pirouette sert à peser la chouette. Le verdict tombe en combinant le poids (90 g !) et la longueur d’une aile (10,8 cm) : « C’est une femelle ! » Les mâles sont plus petits.

Cette nuit-là, Ariane Chénard et Catriona Daley ont installé une bague à la patte de 16 petites nyctales, en plus de capturer un oiseau déjà bagué au Massachusetts, une observation qu’elles ont pu inscrire aussi dans le registre. Comme ces oiseaux vivent de cinq à sept ans, ils peuvent avoir été bagués au cours d’un hiver précédent dans une station qui suit la même espèce. « On fait partie d’un grand réseau de baguage de petites nyctales, avec des dizaines de stations de Tadoussac jusque dans le sud des États-Unis, explique le professeur Shawn Craik, un ancien de l’OOM qui a créé un programme similaire à l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, en 2012. Le but est de surveiller la démographie − les ratios d’âge et de sexe − chaque année pour mieux comprendre les cycles de population. »

Le chercheur est très intrigué par la grande variabilité du nombre d’individus bagués d’une année à l’autre. On parle de migrations « irruptives » : certaines années, une grande quantité de juvéniles plongent dans les filets. « Les quelques recherches menées sur le sujet laissent croire que c’est probablement le résultat de la quantité de nourriture disponible autour des sites de nidification. Lorsqu’il y a peu de nourriture, la femelle pond moins d’œufs et le taux de survie des oisillons peut chuter. C’est que les petites nyctales mangent des rongeurs : des souris, des campagnols, des musaraignes, des populations qui sont cycliques. Il y a des années fortes, des années faibles », précise Shawn Craik. Il s’apprête à publier un article sur le cycle des petites nyctales qui visitent le magnifique décor de Sainte-Anne : il semble y avoir un plus grand nombre de juvéniles tous les deux ans.

À l’OOM, ç’aura été une année exceptionnelle. Alors qu’on y bague environ 200 individus par année, un total de 322 petites nyctales a été enregistré. Et autant sinon plus de « onnnn ! »

Ariane Chénard et Catriona Daley empruntent le sentier qui mène aux filets. Photo: Donald Robitaille

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